Une petite maison, proprette, de jolis volets, des arbres bien taillés, une fenêtre ouverte, des meubles confortables invitant à la nonchalance, un cadre douillet. A côté de la porte, un panneau, dessus, une écriture soignée : « Sam suffit ». Tout un programme. Je suis passé devant sans y prêter attention des centaines de fois, quand je cours sur les bords de Loire. Cette fois-ci, cet appel à cet art du vivre pour soi m’interpelle.
Et si la recette du bonheur, ce n’était pas cela ? Plutôt que de rechercher un vain bonheur dans des quêtes effrénées de grandeur, de dépassement de soi, de lendemains qui chantent. Ne serais-je pas plus heureux dans l’édification pour moi de plaisirs et de satisfactions raisonnables : retrouver ma maison discrète et tranquille, côtoyer quelques collègues de travail sans surprise, limiter ma vie relationnelle à mon épouse, à mes enfants et à ces amis qui me connaissent et m’aiment tel que je suis, mes loisirs que je pratique depuis si longtemps. Une vie bien réglée.
Rassurant. Je sais où je vais. Pas de mauvaises surprises. Les choses sont bien rangées. Tout est ordonné. Plus jeune, je voulais changer le monde. Beau mais utopique ! Si chacun s’occupait de ses problèmes, le monde s’en porterait peut-être mieux. Et ce n’est pas en me consacrant à mes affaires que j’empêcherais les autres d’être heureux. Les choses sont déjà compliquées en soi : ne vaut-il pas mieux s’occuper de soi que des autres ? Enfin, la vie est si courte. Ne faut-il pas savoir en profiter et la savourer du mieux possible ? En agissant ainsi, je ne fais du mal à personne.
Pourtant… Je ne me sens pas très à l’aise. Une petite voix intérieure me glisse : « Pas un peu égoïste, mon ami ? Pas centré sur ta personne ? ». Et quand j’aperçois ce pauvre monsieur qui fait les poubelles dans mon quartier, cela me serre le cœur. Que s’est-il passé pour en arriver là ? Et toutes ces personnes en souffrance abimées par la vie, la maladie, le chômage, la violence, l’abandon, l’alcool, la misère. C’est vrai, ce n’est pas ma faute à moi. Mais si je ne faisais rien alors cela le deviendrait… Je ne peux oublier ces mains affamées sur ce pain encore chaud que je lui offris un soir. Il se précipita dessus. Le courage ne m’avait pas manqué. « Ce n’était rien qu’un peu de pain, mais il m’avait chauffé le corps » comme chantait Brassens.
Vouloir mon petit bonheur, tranquillement dans mon coin avec cette quête du toujours plus. Rien n’est trop beau, trop bien pour rendre mon cadre de vie encore plus confortable : quelle est la dernière chose qui contentera mon plaisir ? Pour plus de bonheur, plus de joie ? Pas si sûr. Et où emporterai-je tous mes biens à ma mort ? Et ce que j’ai préparé, pour qui sera-t-il ?
Et puis, cette sécurité de la richesse et d’une vie bien réglée ne m’empêche-t-elle pas de découvrir toutes les personnes que je rencontre dans ma vie ? Ne suis-je pas devenu aveugle ?
Je lâche prise
Alors j’ai posé un choix : renoncer à ce cadre si sécurisant pour me risquer, lâcher prise, désordonner pour ordonner ma vie à ce qui essentiel.
Comme cet ami, modeste magasinier la nuit, qui consacre ses temps de loisirs aux accidentés de la vie au sein d’Emmaüs. Qu’il est beau et lumineux son regard quand il croise sur sa route ce blessé que la destinée a broyé. Quelle joie !
Comme ces amis que la vie a gâté en donnant tout ce qui fait rêver (maison, situation, voitures, …). Une maison, dans un drôle de fatras, et une porte, une assiette à chaque visiteur pour un repas fraternel. Quelle joie !
J’ai tellement reçu : amour, tendresse, soins, amitiés, consolation, argent, cadeaux, bonheur, … Pourquoi garder tout garder pour moi ? Il y a tant de bonheur à partager.
« Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir » (Actes 20-35)